UN POÉMAGMA D’IHOR PAVLIUK

(Pavliouk Ihor. Magma polesien: poemes / Traduction francaise par Dmytro Tchystiak etAthanase Vantchev de Thracy. Rouen, ChristopheChmomant editeur, 2015. ISBN 978-2-84962-319-0.)

Traduit de l’ukrainien par Athanase Vantchev de Thracyet Dmytro Tchystiak de l’Académie européenne desSciences, des Arts et des Lettre

(http://chr-chomant-editeur.42stores.com/product/ihor-pavliouk-magma-polesien-choix-de-poemes)

Dans Qu’est-ce que la littérature? Jean Paul Sartredisait que les poètes sont des hommes qui refusentd’utiliser le langage.

C’est le cas d’Ihor Pavliouk, un poète ukrainien, dontle langage représente une matière onirique. Primordiale.Une substance divine de son âme. L`essence cru de sachair. C’est la poésie liquide. Un magma. Une rochefondue à haute température de son coeur et sous haute pression de ses émotions qui sont fusionnés en mots et s`épanchent en surface. Ces laves métaphoriquesdeviennent poèmes. Ses métaphores deviennent quasi archétypes. Sa structure mentale reproduit les contextespoétiques, même les phrases surréelles deviennentréflexions aphoristiques.

Immense étendue de sel

bas, au loin, quelque part,

Des routes infinies

D’où mes ancêtres ne sont pas encore revenus.

Ces trois chemins, blancs comme de la craie,

Mènent vers la femme, l’étoile et la guerre.

Le poémagma d’Ihor Pavliuk est présenté aux lecteurs sous forme d`un livre intitulé justement Magma. Choix de poèmes. Le magma poétique de son pays natal la Polissia (l `Ukraine centrale).

Le magma c’est la mamma, explique l’auteur du recueil. C’est la nature qui engendre l’espace-temps etdes poètesmêmes.

Ihor Pavliuk est un poète dont les originesgénétiques et spirituels sont enracinés dans les profondeurs de la nature et de la mythologieukrainienne. Cela explique le mode de penser et de réagir poétiquement aux choses les plus simples de la vie quotidienne d`un ukrainien. S`agit-il du style? Oui, notamment il s’agit de la manière de représenter le monde avec une sagesse paysanne, je dirai docile au mystère. D’ailleurs l’harmonie avec la nature régnantdans sa poésie fait penser au charme d’un paysan célested’inoubliable Georges Emmanuel Clancier et nous pousse à croire à la parenté universelle des merveilles.

La terre de mes ancêtres

Pain noir – seul mot vrai.

ou bien:

Mon chant s’écoule sur le fil du sabre

Comme la tristesse dans le sang du feu,

Tendre épi qui tombe

Sur la terre fertile de mes ancêtres.

Sa poésie réflète des sons, des rythmes, la mélodiosité des chansons populaires. La mélodiositéquandmême perd sa sonorité lorsque l’auteur cesse de témoigner son appartenance identitaire. Pourtant ilsemble se soucier peu d’être lu. Il prend plaisir à se raconter. Il se raconte comme il se devine. Il le fait avec une sincère bonté et une certe amertume. Je dirais ilcache du vrai chagrin en sachant plus que nous, les lecteurs, sur l’envers des choses.

Telle la steppe qui monte à l’assaut de

cette Europe morbide,

Suivant les rituels des mondes antérieurs.

Il ne le révèle pas parce qu’il ne se voit pas dans le rôle d’Ovide dans l’enfer et, raison de plus, en vrai poète,assouvi de l’extase de vivre, il n’est pas trop spleenétique, restant fidèle à l’amour. Aux plusieursamours. Tant mieux. Plus de poèmes puissent naître.

Les poètes possèdent un regard pénétrant dans le magma de la vie. Chez lui c’est un regard inquiet jusqu`àl`insomnie, jusqu`à l`atrophie des nerfs. (S`agit-il duregard de l`âme, elle ne dort jamais).

L’oeuvre d’Ihor Pavlouk semble appartenir au style néoromantique. D’ailleurs il le déclare lui-même auRendez-vous avec Byron.

Alors Byron est venu à moi

Avec la douleur de son verbe,

Moi, le romantique du ciel, et lui,

Le romantique du corps,

Nous sommes tous les deux cierges noyés

Dans les yeux de Satan

ou bien:

J’erre comme un cri

Entre amour et gloire

Avant que l’un des deux

Ne vienne me choisir.

ou bien encore:

On voit le goulot de la bouteille de l’automne gris,

Le brigand romantique pénètre dans la forêt

comme dans un temple.

Cierges et fleurs tantôt apparaissent, tantôtdisparaissent

Dieu merci, nous aurons toujours besoin d’eux !

ou encore:

Au-dessus de la rivière se dressent les ruinesruisselantes

d’un temple,

Au-delà, on entend les sirènes des brouillards,

Tout ce qui me reste

C’est d’aimer la tristesse

Éternelle comme ta voix.

On y distingue aussi l’influence de ses poètespréférés russes сomme Essenine. Surtout lorsequ’il parledes songes, des rêves, des ombres. Lui, il estparticulièrement attaché au parfum onirique de la vie. Je citerai quelques unes de ses réflexions poétiques.

Et le rêve est doux comme une voix noyée

Les songes et la réalité

Sont soudés comme les os

Une strophe émouvante

Réchauffera l’âme

Que ce monde a si facilement trompée,

Maintenant, c’est elle qui me trompe,

Comme un médecin leurre un malade condamné

Quelque part ici mes aïeux et mes idoles l’attendent

Elle, lampe à incandescence, elle, si familière.

Comme l’ombre éternelle d’une rivièretransparente

Qui vole à travers le ciel sans jamais apparaître.

Sa poésie est empreinte aussi d`une admiration à la beauté insaisissable d’être.

Toile d’araignée déchirée

Sans ressentir la douleur

Le fleuve est dessiné avec une larme,

Aussi légère que la mort précoce d’un flocon de neige

Nous buvons le vin des sauvages coquelicots des étoiles

Dans les cloches des églises

Il nétait tout de même pas question ici de faire unanalyse exhaustif de la poésie de l’auteur. Et juste pour conclure: le magma c’est une substance engloutissante, comme la poésie, ça ne vous lachera plus.

Volodymyr Karatchentsev,

poète,

lauréat du Prix LittéraireInternational Grygory Skovoroda, 2019